Revoir Cimabue au musée du Louvre
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Paris le 9 février 2025. Les années 1280-1290 furent le témoin d’un moment fondamental, révolutionnaire même, dans l’histoire de la peinture occidentale : pour la première fois, un peintre cherche à représenter dans ses œuvres le monde, les objets et les corps qui l’entourent tels qu’ils existent. Cet artiste visionnaire, dont nous ne savons presque rien et dont seule une quinzaine d’œuvres nous sont parvenues, c’est Cimabue (Florence, vers 1240 - Pise ?, 1301/ 1302). La première exposition à lui être consacrée est le fruit de deux actualités de grande importance pour le musée du Louvre : la restauration de la Maestà, souvent qualiàée « d’acte de naissance de la peinture occidentale » et l’acquisition en 2023 de La Dérision du Christ, un panneau inédit de Cimabue redécouvert en France chez des particuliers en 2019 et classé Trésor National. Ces deux tableaux, dont la restauration s’est achevée àn 2024, constituent le point de départ de cette exposition, qui, en réunissant une quarantaine d’œuvres, ambitionne de mettre en lumière l’extraordinaire nouveauté de sa manière et l’incroyable invention par laquelle il renouvela la peinture. Elle écrit ainsi le récit passionnant d’un commencement. Cimabue a ouvert la voie du naturalisme dans la peinture occidentale. Avec lui, les conventions de représentation héritées de l’art oriental, en particulier des icônes byzantines, si prisées jusqu’alors, cèdent la place à une peinture inventive, cherchant à suggérer un espace tridimensionnel, des corps en volumes et modelés par de subtils dégradés, des membres articulés, des gestes naturels et des émotions humaines. Il développe également une verve narrative que l’on pensait jusqu’à présent initiée par ses áamboyants successeurs, Giotto et Duccio. Nos connaissances sur Cenni di Pepo, dit Cimabue, sont très minces, comme le rappelle le prologue de l’exposition : on ignore jusqu’à la signiàcation de son surnom et seuls quelques documents d’archive permettent d’identiàer l’artiste et de donner de rares repères dans son parcours. C’est Dante, dans un passage de La Divine Comédie, qui forge le mythe au début du XIVe siècle : en établissant son importance, il est à l’origine de la fascination que le nom de Cimabue exercera des Médicis jusqu’à aujourd’hui XIIIe La section introductive consacrée au contexte de la peinture entre Florence, Pise et Assise au milieu du siècle, plante le décor de la scène artistique sur laquelle Cimabue apparaît. Ce qui compte alors dans l’appréciation d’une œuvre, c’est sa conformité avec les grands prototypes des icônes orientales, réputées dériver àdèlement d’images « aicheiropoïètes », c’est-à-dire « non faites de main d’homme ». Dans ces images considérées miraculeuses, les personnages sont représentés comme appartenant au monde sacré et n’ont pas vocation à ressembler à des êtres humains. C’est pour cela qu’on les peint avec des déformations anatomiques conventionnelles, comme on peut le voir sur la Croix de San Ranierino, réalisée par Giunta Pisano, la àgure artistique dominante de cette époque (Pise, museo di San Mateo) ou encore dans la Madone Kahn (Washington D.C., National Gallery of Art), l’une des icônes les plus intrigantes de la période. C’est avec ce mode de représentation que Cimabue entend rompre. Le parcours se concentre alors sur la Maestà du Louvre, pivot central de l’exposition : les nouveautés qui se manifestent dans ce tableau ont conduit certains historiens de l’art à le qualiàer d’« acte de naissance de la peinture occidentale ». Cimabue témoigne dans cette œuvre monumentale (4,27 x 2,8 m) de son aspiration à humaniser les àgures saintes et de sa quête illusionniste, en particulier dans le rendu de l’espace avec le trône vu de biais La restauration a permis, en plus de retrouver la variété et la subtilité des coloris (dont l'éclat prodigieusement lumineux des bleus tous peints en lapis-lazuli), la redécouverte de nombreux détails masqués par des repeints qui mettent notamment en évidence la fascination de Cimabue et de ses commanditaires pour l’Orient, à la fois byzantin et islamique, comme la bordure rouge couverte de pseudo-inscriptions arabes et le textile oriental qui habille le dossier du trône. La réalisation d’une œuvre monumentale comme la Maestà pose la question de l’atelier de Cimabue. Comme pour le reste, nous ne savons rien mais Cimabue est réputé avoir été le maître de Giotto et les historiens de l’art supposent que le grand peintre siennois Duccio di Buoninsegna dut être marqué par les créations du grand peintre áorentin. Il est un fait que la manière de Cimabue a imprégné de nombreux artistes et l’exposition permet de confronter réellement des œuvres de plusieurs d’entre eux, qui toutes cherchent à susciter l’implication émotionnelle des àdèles. La proximité stylistique de la Madone de Crevole de Duccio (Sienne, Museo dell’Opera del Duomo) et de la Maestà de Cimabue est éloquente, dans le modelé délicat des visages de la Vierge ou dans les jeux de transparence. Avec Cimabue s’impose la conviction que chaque artiste doit afàrmer sa manière propre, que les thèmes traditionnels doivent être renouvelés en permanence. La nouveauté devient un élément central de l’appréciation artistique. Il en résulte un climat d’invention et d’émulation extraordinaire entre les peintres. Le parcours se poursuit avec la section construite autour du diptyque de Cimabue, dont le Louvre réunit pour la première fois les trois seuls panneaux connus à ce jour. La verve narrative et la liberté déployées par Cimabue dans cette œuvre aux coloris chatoyants, et en particulier dans La Dérision du Christ, en font un précédent important et insoupçonné jusqu’alors à la Maestà de Duccio, chef-d’œuvre de la peinture siennoise du Trecento. Cimabue se relève dans ce petit panneau d’une inventivité prodigieuse, en ancrant la composition dans le quotidien de son temps, en osant habiller les personnages de vêtements de son époque. Il fait ainsi écho aux préoccupations des Franciscains, promoteurs d’une spiritualité plus intériorisée et immédiate. L’exposition se conclut par la présentation du grand Saint François d’Assise recevant les stigmates de Giotto, destiné au même emplacement que la Maestà du Louvre, le tramezzo (la cloison qui sépare la nef du chœur) de San Francesco de Pise, et peint quelques années après par le jeune et talentueux disciple de Cimabue. A l’aube du XIVe siècle, Duccio et Giotto, tous deux profondément marqués par l’art du grand Cimabue qui s’éteint en 1302, incarnent désormais les voies du renouveau de la peinture. COMMISSARIAT Thomas Bohl, conservateur au département des Peintures, musée du Louvre CATALOGUE Sous la direction de Thomas Bohl, coédition musée du Louvre éditions / Silvana Editoriale, 280 pages, 278 illustrations, 42 €. PUBLICATION Revue Technè, n°58 : « Cimabue et la Toscane à la àn du XIIIe siècle : techniques, matériaux et restaurations », sous la direction de Thomas Bohl, Marco Ciatti (†) et Elisabeth Ravaud. Edité par le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) DOCUMENTAIRE De Cimabue à Giotto, la révolution des corps, réal. : Juliette Garcias. 2024, 52 min. Coprod. Musée du Louvre, CFRT et ARTE. Diffusion prochainement sur ARTE. REVOIR CIMABUE AUX ORIGINES DE LA PEINTURE ITALIENNE EXPOSITION 22 JANVIER — 12 MAI 2025 AILE DENON, 1ER ÉTAGE, SALLE ROSA (717). INFORMATIONS PRATIQUES Horaires d’ouverture de 9 h à 18 h, sauf le mardi, Jusqu’à 21h le mercredi et le vendredi. Réservation d’un créneau horaire recommandée en ligne sur louvre.fr y compris pour les bénéficiaires de la gratuité. Gratuit pour les moins de 26 ans résidents de l’Espace économique européen. Félix José Hernández.
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