Le renouveau de la laque vietnamienne
Compartir en Facebook
Paris le 31 décembre 2024. En écho aux deux chefs-d’œuvre en laque de Lê Phô présentés dans l’exposition temporaire, le nouvel accrochage dans les collections permanentes du musée Cernuschi présente cet hiver une sélection de deux dessins préparatoires à des paysages destinés à être peints à la laque et un grand panneau laqué illustrant le renouveau de la laque vietnamienne dans les années 1930. En complément, l’usage traditionnel de la laque est évoqué à travers une vue d’un temple riche en mobilier laqué ainsi qu’une paire de sentences parallèles portant des vœux de bonheur et de longévité. Qu'est-ce que la laque ? La laque est une résine naturelle utilisée en Extrême-Orient depuis près de 4000 ans. À l’origine, elle servait à protéger le bois des attaques d’insectes et de la moisissure. Au Vietnam, les artisans laqueurs étaient organisés en corporations. La conquête militaire de l’Indochine par les Français au cours du XIXe siècle a entrainé la découverte des formes traditionnelles de l’artisanat vietnamien par les Occidentaux : quelques récits de voyageurs décrivent avec admiration le travail des ébénistes-laqueurs et celui des incrusteurs qui rehaussent de nacre meubles, boîtes ou autres objets en bois. Par contre, ils sont frappés par la permanence des motifs décoratifs qu’ils jugent répétitifs. L’École des beaux-arts de l’Indochine Lorsque le peintre français Victor Tardieu (1870-1937) prend la direction de l’École des beaux-arts de l’Indochine, inaugurée à Hanoï en 1925, il enseigne les codes de l’art occidental à ses étudiants vietnamiens tout en les invitant à puiser dans les arts traditionnels pour inventer un nouveau style artistique moderne, mais où s’affirmera le caractère national. En quelques années, la laque subit une transformation radicale, non pas tant dans sa technique que dans sa finalité. Elle est alors envisagée comme un médium pictural : les motifs ornementaux traditionnels cèdent la place à de grandes compositions unifiées réalisées sur des panneaux faits pour être accrochés aux murs, comme des peintures à l’huile. Un usage modernisé de la laque Ce nouvel usage modernisé de la laque né à Hanoï gagne rapidement le sud du Vietnam : l’École d’art de Gia Định, fondée en 1913, n’enseignait à l’origine que le dessin technique. Puis, en 1926, son nouveau directeur, Jules-Gustave Besson (1868-1942), lui donne une impulsion véritablement artistique, en s’inspirant de l’exemple de Victor Tardieu aux Beaux-Arts de Hanoï. À l’issue d’une année de classe préparatoire, les élèves de l’École de Gia Định peuvent se spécialiser dans les métiers de l’ébénisterie et de la laque en rejoignant l’École de Thủ Dầu Một. Dès les années 1930, de nombreux laqueurs proposent désormais, tant au nord qu’au sud du Vietnam, des panneaux représentant majoritairement des paysages. Panthères à l'affût sur les rives de la Đồng Nai Dans les années 1930, le travail de la laque artisanale est au cœur d’un renouvellement entrepris par l’École des beaux-arts de l’Indochine à Hanoï. La laque artisanale sơn ta, continue d’être travaillée par des artisans selon les techniques ancestrales, mais de nouvelles productions – de grands panneaux portant des compositions peintes à la laque, ou tranh sơn mài – viennent compléter leur répertoire. Les modèles sont fournis par des dessinateurs formés aux Beaux-Arts de Hanoï ou à l’École d’art de Gia Định, près de Saïgon. Ce panneau, signé mais dont l’artiste n’est pas identifié, a été exécuté dans les environs de Saïgon. Il est exemplaire de la synthèse opérée par l’art indochinois. Si la technique est traditionnelle, la fonction de l’objet – ornement mural – répond au goût occidental. La facture en aplats, la simplification des couleurs et des motifs réduits à de simples silhouettes se rattachent directement au style Art déco. Les modèles venus de Paris circulent via des photographies et des revues illustrées. Les enseignants des écoles d’art de Hanoï et de Gia Định sont majoritairement français et connaissent les tendances stylistiques contemporaines. Le thème des félins guettant leur proie se retrouve à la fois dans les grands décors Art déco aux accents exotiques d’un Paul Jouve (1878-1973) ou d’un Jean Dunand (1877-1942), mais aussi chez les peintres japonais du courant nihonga, ce mouvement né à la fin du XIXe siècle et visant à renouveler la peinture traditionnelle par l’introduction d’éléments empruntés à l’Occident. Le sujet des félins à l’affût sera repris par certains artistes chinois ralliés à l’esprit du nihonga, signe des échanges artistiques intenses à travers l’Asie et avec l’Occident. La technique de la peinture à la laque La laque est une résine naturelle obtenue par incision du tronc de l’arbre à laque, dont plusieurs variétés poussent en Asie. En incisant le tronc, on récolte une résine de couleur et d’aspect crémeux qui est ensuite filtrée et laissée à décanter plusieurs mois. Au fond, la laque visqueuse servira aux couches préparatoires. La laque surnageant est de qualité supérieure : liquide et transparente, elle sera réservée aux couches de finition et aux préparations de laques colorées. Le support en bois doit être soigneusement préparé pour éviter les fissures ultérieures. Il est constitué en latté, c’est-à-dire de plusieurs couches de différents bois collées entre-elles. Il est ensuite enduit d’un tissu fin et revêtu de cinq à quinze couches de laque mêlée de sciure puis d’argile de plus en plus fine, et éventuellement de charbon. Six à quinze jours de séchage sont nécessaires entre chaque couche. La laque, pour durcir, doit sécher lentement dans une chambre à l’atmosphère humide. La dernière couche de laque doit toujours être polie avant d’être recouverte par la suivante. L'application de dizaines de couches Les cinq à six dernières couches sont dévolues au décor : la laque de la meilleure qualité est alors employée. Elle est nommée « laque cuite » car elle subit un chauffage doux en même temps qu’elle est remuée pendant douze jours avec un instrument de bois. Cette opération permet à l’eau contenue dans la laque de s’évaporer. Le liquide obtenu est ensuite filtré. La laque a la particularité de s’oxyder à l’air et de brunir, tout en restant transparente. Au cours du barattage, des pigments naturels peuvent être ajoutés : oxyde de fer (noir), orpiment (jaune), cinabre (rouge). De la poudre ou des feuilles d’argent ou d’or ajoutées dans les dernières couches permettent d’obtenir de luxueux reflets. Les laques colorées sont soit appliquées en aplat soit superposées. D’étonnants effets de texture peuvent être obtenus lors du ponçage en révélant les teintes sous-jacentes. Les dernières couches sont finement polies à l’eau et à la poudre de charbon ou de corne. Six mois au minimum sont nécessaires à la fabrication d’un panneau laqué, pour une épaisseur de laque d’à peine quatre millimètres. Musée Cernuschi 7 avenue Vélasquez 75008 Paris Du mardi au dimanche De 10h à 18h Félix José Hernández
Compartir en Facebook