Lettre de Victor Hugo aux femmes de Cuba
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« Femmes de Cuba, qui me dites si éloquemment tant d’angoisses et tant de souffrances, je me mets à genoux devant vous, et je baise vos pieds douloreux.» Victor Hugo. La femme cubaine, exemple de indépendentisme. C’est une femme qui a conduit la première plume de France à écrire la lettre que nous reproduisons ci-dessous. Qui était cette illustre femme ? Toutes les sources s’accordent à certifier que c’était Emilia Casanova de Villaverde, une véhémente fille de Matanzas, épouse du célèbre auteur du roman Cecilia Valdés. Elle a fondé la Ligue des Filles de Cuba lors de son exil newyorkais à peine commencée la guerre d’indépendance de 1868. C’est de New York qu’elle a adressé sa demande à l’éminent français. Introduction manuscrite par Victor Hugo L’Europe, où couvaient de redoutables événements, commençait à perdre de vue les choses lointaines. A peine savait-on, de ce côté de l’Atlantique, que Cuba était en pleine insurrection. Les gouverneurs espagnols réprimaient cette révolte avec une brutalité sauvage. Des districts entiers furent exécutés militairement. Les femmes s’enfuyaient. Beaucoup se refugièrent à New-York. Au commencement de 1870, une adresse des femmes de Cuba, couverte de plus de trois cents signatures, fut envoyée de New-York à Victor Hugo pour le prier d’intervenir dans cette lutte. Il répondit : « Je remercie Dieu de m’en accorder dès à présent la certitude ; le bonheur qui reste au proscrit dans les ténèbres, c’est de voir un lever d’aurore au fond de son ame. » . Lettre aux femmes de Cuba signée par Victor Hugo. Aux femmes de Cuba Femmes de Cuba, j’entends votre plainte. O désespérées, vous vous adressées à moi. Fugitives, martyres, veuves, orphelines, vous demandez secours à un vaincu. Proscrites, vous vous tournez vers un proscrit ; celles qui n’ont plus de foyer appellent à leur aide celui qui n’a plus de patrie. Certes nous sommes bien accablés ; vous n’avez plus que votre voix, et je n’ai plus que la mienne : votre voix gémit, la mienne avertit. Ces deux souffles, chez vous le sanglot, chez moi le conseil, voilà tout ce qui nous reste. Qui sommes-nous ? La faiblesse. Non, nous sommes la force. Car vous êtes le droit, et je suis la conscience. La conscience est la colonne vertébrale de l’âme, tant que la conscience est droite, l’âme se tient debout ; je n’ai en moi que cette force-là, mais elle me suffit. Et vous faites bien de vous adresser à moi. Je parlerai pour Cuba comme j’ai parlé pour la Crète. Aucune nation n’a le droit de poser son ongle sur l’autre, pas plus l’Espagne sur Cuba que l’Angleterre sur Gibraltar. Un peuple ne possède pas plus un autre peuple qu’un homme ne possède un autre homme. Le crime est plus odieux encore sur une nation que sur un individu ; voilà tout. Agrandir le format de l’esclavage, c’est accroître l’indignité. Un peuple tyran d’un autre peuple, une race soutirant la vie à une autre race, c’est la succion monstrueuse de la pieuvre, et cette superposition épouvantable est un des faits terribles du dix-neuvième siècle. On voit à cette heure la Russie sur la Pologne, l’Angleterre sur l’Irlande, l’Autriche sur la Hongrie, la Turquie sur l’Herzégovine et sur la Crète, l’Espagne sur Cuba. Partout des veines ouvertes, et des vampires sur des cadavres. Cadavres, non. J’efface le mot. Je l’ai dit déjà, les nations saignent, mais ne meurent pas. Cuba a toute sa vie et la Pologne a toute son âme. L’Espagne est une noble et admirable nation, et je l’aime ; mais je ne puis l’aimer plus que la France. Eh bien, si la France avait encore Haïti, de même que je dis à l’Espagne : Rends Cuba ! Je dirais à la France : Rends Haïti ! Et en lui parlant ainsi, je prouverais à ma patrie ma vénération. Le respect se compose de conseils justes. Dire la vérité c’est aimer. Femmes de Cuba, qui me dites si éloquemment tant d’angoisses et tant de souffrances, je me mets à genoux devant vous, et je baise vos pieds douloureux. N’en doutez pas, votre persévérante patrie sera payée de sa peine, tant de sang n’aura pas coulé en vain, et la magnifique Cuba se dressera un jour libre et souveraine parmi ses sœurs augustes, les républiques d’Amérique. Quant à moi, puisque vous me demandez ma pensée, je vous envoie ma conviction. A cette heure où l’Europe est couverte de crimes, dans cette obscurité où l’on entrevoit sur des sommets on ne sait quels fantômes qui sont des forfaits portant de couronnes, sous l’amas horrible des évènements décourageants, je dresse la tête et j’attends. J’ai toujours eu pour religion la contemplation de l’espérance. Posséder par intuition l’avenir, cela suffit au vaincu. Regarder aujourd’hui ce que le monde verra demain, c’est une joie. A un instant marqué, quelle que soit la noirceur du moment présent, la justice, la vérité et la liberté surgiront, et feront leur entrée splendide sur l’horizon. Je remercie Dieu de m’en accorder dès à présent la certitude ; le bonheur qui reste au proscrit dans les ténèbres, c’est de voir un lever d’aurore au fond de son âme. Victor Hugo Hauteville House, 15 janvier 1870. Publié par Félix José Hernández, de Paris le 20 juillet 2023.
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