Crónica de Cartas a Ofelia

Liberté d’expression
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	Le premier prix catégorie texte narratif est décerné à Cristobal Hernandez.
Je m'appelle Alain Dudrac. Mais ça, depuis la loi du 5 janvier 2043 sur l'abolition de la liberté d'expression, tout le monde l'ignore. Un prénom, un nom, c'est trop pour nos dirigeants. Un prénom, un nom, c'est une forme d'expression, de communication. Son prénom, son nom, c'est ce qui nous définit, à nos propres yeux mais aussi à ceux des autres et ça, ça s'appelle l'expression. Aujourd'hui, on m'appelle 2-Q3v. Des chiffres, des signes, des lettres. Mais pas un prénom, pas un nom. Le monde a été amputé de quelque chose. L'humanité lui a amputé quelque chose. Son humanité, justement. Car oui, la liberté d'expression, c'est ce qui fait de l'humanité l'humanité. La liberté d'expression, c'est la liberté de la presse, la liberté de réunion, d'association, de manifestation, la liberté d'opinion. La liberté d'expression, c'est les fondations du monument de la liberté. Si les fondations s'effondrent, le monument s'écroule. Certains diront que c'est la Nature, d'autres Dieu, qui a créé l'homme. Moi, je ne sais pas. Mais je sais que l'homme a été créé avec un corps, des bras, des jambes et surtout, une bouche. Une bouche pour manger mais aussi pour parler, pour se moquer, pour rire, pour s'exprimer, pour donner son avis, pour philosopher, pour expliquer, pour instruire, pour argumenter, pour grimacer, pour chanter... Aujourd'hui, elle ne sert plus qu'à manger. Nos dirigeants ont décrété que la parole était inutile. La vérité, c'est que la parole gêne les dictateurs. Plus encore que le fusil, la parole est une arme redoutable. Avec la parole, on peut convaincre les foules, planifier, manipuler et menacer. Auparavant, les dictateurs utilisaient cette arme à leurs propres desseins. Mais ils ont vite compris que la parole, contrairement au fusil, tout le monde la possède et peut l'utiliser. La parole est une arme que chacun détient et utilise quotidiennement. La parole, c'est le ciment des fondations du monument de la liberté. Aujourd'hui, comme toute arme dangereuse, la parole nous a été enlevée. Nous sommes redevenus spartiates, à ne parler que par laconismes et obéir aveuglément aux ordres les plus tyranniques. Sans parole, sans liberté d'expression, nous ne sommes que de vulgaires outils manipulables à volonté. Aujourd'hui, le monde est terne. La parole, la liberté d'expression, la liberté, étaient les couleurs de notre monde. Aujourd'hui, le monde est terne. Sans liberté d'expression, les mots: famille, amitié, rire, joie, bonheur et de nombreux autres ont perdu leur sens. L'absence de liberté d'expression a élevé des barrières entre les personnes. Les gens se croisent comme avant, se disent bonjour comme avant, travaillent comme avant. Mais ils ont perdu l'étincelle, ils ont perdu leur humanité. Ils ne sont désormais que de simples robots, automates sans âme ni énergie. La politesse a perduré, froide et sinistre, mais l'amour a déserté notre monde. Un seul constat est possible : Aujourd'hui, le monde est terne. Mais si telle est la vie, pourquoi la conserver, me diriez-vous ? Parce que l'homme a oublié qui il était, l'homme a oublié ce qu'est un homme. Il ne sait plus. L'homme est devenu aussi incapable de penser qu'un aveugle de décrire les couleurs. En effet, à quoi bon penser s'il est impossible de s'exprimer. L'homme a perdu le mode d'emploi de la vie. Vous devez le connaître, ce petit livre bien lourd sur lequel est écrit: "Liberté d'expression" de toutes les couleurs du miroir. Sans mode d'emploi, il est impossible de monter un meuble correct. Sans liberté d'expression, il est impossible de vivre une vie correcte. L'homme conserve donc sa vie bancale dans son monde terne car il a oublié le monde d'avant, celui avec la liberté d'expression. Mais je vous parle cependant. Je vous parle et vous m’écoutez. Je vous parle alors que cela m’est formellement interdit. C’est la preuve que l’homme n’est pas cette glaise façonnable à volonté. Si je risque ma vie à vous parler (oui, ma vie, car personne n’osera élever la voix contre la sentence des tyrans) c’est que je vous en juge digne. Je pense que, qui que vous soyez, vous valez d’être averti. Vous valez, vous, forme du passé, d’être prévenu de l’horreur d’un futur sans liberté d’expression. J’espère que vous avez compris, que vous vous dresserez contre tous ceux qui voudront vous museler. Je le dis et le répète, conservez votre parole, vous conserverez votre liberté. Et la liberté, finalement, c’est notre bien le plus précieux. Cristobal A. A. Hernandez.
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