Tout le pouvoir aux soviets, de Patrick Besson
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Paris le 8 avril 2018. Incontestablement l'écriture inimitable de Patrick Besson, nous offre un cours d’histoire efficace et plaisante. C'est un très bon roman pour découvrir l’URSS et la Russie d’aujourd’hui, un thème difficile habilement traité. Ce roman très lucide achève le communisme. On se régale ! « Ma dernière nuit à Moscou, capitale de la Russie lubrique et poétique. La ville où les piétons sont dans les escaliers des passages souterrains et les automobilistes au-dessus d’eux dans les embouteillages. Avenues larges et longues comme des pistes d’atterrissage. Retrouver la chambre 5515 du Métropole ou aller boire un verre ailleurs ? J’aime sortir, mais aussi rentrer. Il y a ce club libertin sur Tverskaïa, où mes clients étaient sans moi hier soir, après la signature de notre contrat. Jamais dans un club libertin avec des clients, même après la signature d’un contrat : photos, puis photos sur les réseaux sociaux. Je travaille dans l’argent, et l’argent, c’est la prudence. Va pour le club. Dans le goulet d’étranglement de l’entrée, un distributeur de billets qui annonce la couleur : celle de l’argent. L’air mélancolique des deux gros videurs. À droite le bar, à gauche des seins. Il y a aussi des seins au bar. Je compte – c’est mon métier – quatorze filles nues ou en sous-vêtements pornographiques. Peaux d’enfant, visages d’anges. Elles me dansent dessus à tour de rôle. Obligé d’en choisir une pour échapper aux autres. Je prends la plus habillée, ça doit être la moins timide. Et j’aurai une occupation : la déshabiller. C’est une Kazakh ne parlant ni anglais ni français, dans une courte robe qui, dans la pénombre, semble bleue. On discute du prix à l’aide de nos doigts. Je l’emmène dans une chambre aux murs noirs et sans fenêtres qui se loue à la demi-heure. Le cachot du plaisir. Le point faible de la prostitution moderne : l’immobilier. Les bordels de nos grands-pères avaient des fenêtres. Et parfois des balcons. Au cours des trente minutes suivantes, m’amuserai à soulever puis à rabaisser la robe de la Kazakh sur ses fesses rondes et fraîches. Je veux bien payer une femme à condition de ne pas coucher avec elle. La fille m’interroge, par petits gestes inquiets, sur ce que je veux. Étonnée d’échapper à l’habituel viol. Je ne lui ai pas dit que je parle russe. Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir un papa communiste. S’il s’était douté que la langue de Lénine me servirait autant dans la finance, mon père m’aurait obligé à en apprendre une autre. C’était juste après la mort de maman qui m’a toujours parlé français par haine de sa terre natale soviétique. Sonnerie. Ce n’est pas un réveil, mais une minuterie. Les trente minutes de la location de la chambre et de la prostituée sont écoulées. La Kazakh me demande, toujours par gestes, si je veux la prendre une demi-heure de plus, puisque je ne l’ai pas prise. Je réponds en russe : niet. Dehors, je me dirige vers la place des Théâtres qui fut le théâtre de la version moscovite d’octobre 17. J’entre dans un long restaurant bicolore – chaises blanches, tables noires – presque vide. L’effet des sanctions économiques de l’UE et des USA contre le botoxé Poutine, idole des expatriés français en Russie ? Ou d’une mauvaise cuisine ? Le maître d’hôtel est assorti au restaurant : son corps bien proportionné est moulé dans une robe blanche à pois noirs. C’est une grande brune de type asiatique, sans doute une Sibérienne. Les Sibériennes sont des Thaïs qui n’ont pas besoin de danser sur les tables, ayant des jambes. Avec elle, je ne me contenterai pas de parler mon russe littéraire : le déploierai comme un drapeau sexuel. Qu’y a-t-il de plus rapide qu’un financier ? Peut-être un footballeur. Une négociation est un soufflé au fromage : ne doit pas retomber. Je fais ma première offre à la Sibérienne : un verre après son service. Tania – les femmes russes n’ont, depuis des siècles, qu’une dizaine de prénoms à leur disposition, c’est pourquoi Tania s’appelle comme ma défunte mère – ne sourit pas. Elle me regarde avec une insistance étonnée. Elle dit qu’elle n’a pas soif. A-t-elle sommeil ? Si oui, je l’emmène à mon hôtel. Il faut d’abord, me dit-elle, qu’elle appelle son mari pour obtenir son accord. Je lui dis que je peux l’appeler moi-même. Entre hommes cultivés, nous finirons par trouver un arrangement. Qu’est-ce qui me fait croire que son mari est cultivé ? demande-t-elle. Elle entre dans mon jeu, c’est bien : on progresse vers le lit. Je ne réponds pas car ce n’est pas une question, juste un revers lifté. Elle dit que, bien sûr, elle n’est pas mariée, sinon j’aurais déjà reçu une claque, bientôt suivie d’une balle dans la tête administrée par ledit époux. Je propose que nous allions nous promener autour de l’étang du Patriarche. Elle me demande si je suis romantique. Non : boulgakovien. Le numéro deux dans le cœur sec de maman, après Pouchkine. – Votre mère était russe ? m’interroge la Sibérienne. – Oui. Ça ne se voit pas ? – Si. Moscou toujours un peu mouillée la nuit. Les voitures glissent sur l’immensité des rues. Il n’y a plus de tragédie socialiste dans l’air, rien que l’innocente recherche du sexe. Tania me prend le bras, comme une vieille amie. – Allons dormir, je suis fatiguée. » Marc Martouret, jeune banquier né d’une mère russe antisoviétique et d’un père communiste français, porte en lui ces deux personnes énigmatiques dont on découvrira les secrets tout au long du roman qui nous emmène du Paris de Lénine en 1908 au Moscou de Poutine en 2015, ainsi que dans l’URSS de Brejnev pour le cinquantième anniversaire d’octobre 17. L’épopée révolutionnaire, ses héros et ses martyrs, ses exploits et ses crimes, ses nombreuses ambiguïtés, sont ressuscités au fil des pages. Trois histoires d’amour se croiseront et seule la plus improbable d’entre elles réussira. Tout le pouvoir aux soviets est aussi une réflexion, chère à l’auteur, sur les rapports entre le pouvoir politique quel qu’il soit et la littérature. Le titre est de Lénine et on doit la construction aux célèbres poupées russes. « Un roman russe sur l'amour au temps du communisme… et après. » Le Point « Tout le pouvoir aux soviets, l'histoire de l'URSS vue par trois générations. Ça se passe un peu à Paris, où Lénine a séjourné avant la Révolution. Et surtout à Moscou: après 1917, quand les bolcheviks arrivent; en 1967, lorsqu'un Français, membre du PCF, y rencontre sa future femme; et en 2017, quand le fils du précédent, un jeune financier, s'y rend pour affaires et s'éprend d'une Russe sublime. Le trait d'union entre les trois époques: un vieux bolchevik, président de l'union des écrivains soviétiques. » Le Figaro « Hélas, tous ces dictateurs sont aussi de grands lecteurs. Staline serait-il devenu Staline, s'il n'avait été chassé du séminaire pour y avoir lu Victor Hugo en cachette? On peut en douter. » BibliObs (Extraits) Tout le pouvoir aux soviets / Patrick Besson lu par Grégory Protche : https://www.youtube.com/watch?v=TIvMQGjusWI Patrick Besson a 61 ans. Tout le pouvoir aux soviets est son trentesixième roman. Il a reçu trois décorations en Serbie et une en France. Il est chroniqueur dans deux périodiques : Le Point et Grand Seigneur. Il a deux fils : Paul et Oscar. Il est supporter de sept clubs de football : OGC Nice, AS Monaco, l’Etoile Rouge de Belgrade, Amiens SCF, PSG, Blanc-Mesnil SF et, surtout le Red Star FC. Il est juré dans trois prix littéraires : le prix de la Petite Maison de Nice (Président), le prix de la Bastide de Gordes et le prix Renaudot. Il est un quart juif. Tout le pouvoir aux soviets. Patrick Besson. © Editions Stock, 2018. Illustration de couverture : © FineArtImages/Leemage. 136 x 210 mm - 256 pages - 19.00 €. ISBN : 978-2-234-08430-8 Félix José Hernández.
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